Francesca Persici
Au
Moyen Âge, la société féodale était fortement hiérarchisée et organisée
en castes fermées. Outre les oratores, bellatores et
laboratores, qui constituaient la tripartition de la société, une réalité à
part était constituée par les femmes.
Dans
une époque aussi vaste, dans laquelle la composante religieuse dominait sur
tout, la figure féminine était considérée avec soupçon, surtout parce que
l’on estimait qu’elle était un véhicule au travers duquel le Malin pût se
manifester. Pour mieux comprendre comment ce phénomène était répandu au
Moyen Âge, nous analyserons dans ce qui suit l’image de la figure féminine,
au travers d’une série de composants antithétiques entre eux, mais aussi
fortement liés: la magie et la sainteté.
Les
sorcières
La réalité de tous les jours n’était pas seulement influencée par
les croyances religieuses (grande était la crainte de Dieu!), mais aussi par
l’imaginaire collectif, qui prenait forme au travers de l’art et de la littérature.
Dans la tradition populaire, les histoires légendaires de chevaliers, qui
entreprenaient d’héroïques batailles au nom de la religion contre le mal et
contre les infidèles, se succédaient: de la Chanson
de Roland au Chant du Cid, jusqu’au cycle breton ou arthurien.
L’histoire, racontée dans le cycle arthurien, qui rapporte les
vicissitudes du Saint Graal, du Roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde,
se classe dans le genre du roman courtois (vers le XIIème siècle),
et est située dans une île appelée Avalon (1),
terre de brume et de magie, siège des trois enchanteurs, figures cardinales du
cycle: Viviane, la dame du lac et gardienne d’Excalibur, Merlin le magicien,
celui qui donna l’épée magique a Uther de Pendragon, père du roi Arthur, et
Morgane la fée, fille d’Iguerne, demi-soeur d’Arthur et mère de Mordred,
le chevalier renégat, qui mettra fin à la vie du grand souverain.
En partant de ce roman, on peut analyser les réalités diverses de la
femme médiévale. Les protagonistes féminines de l’oeuvre, Guenièvre et
Morgane, représentent des éléments différents d’une même réalité: la
princesse Guenièvre, épouse du roi Arthur et amante de Lancelot (le premier
chevalier) et la fée Morgane qui, comme dit Arthur à Merlin, représentait
« le chaos ». Son nom dérive
de celui de la déesse celte Morrigan, la triple déesse des batailles, aux
cheveux noirs, couleur du corbeau, et capable de se transformer en corbeau, pour
s’échapper du champ de bataille. C’est elle en effet qui prédit et veille
sur les guerres (on signale encore de-ci de-là, dans le nord de la France une
croyance qui dit que le combat de corbeaux entre eux est un signe de guerre, ndt).
La sorcière est, selon une définition moderne, une « femme
qui, dans les croyances populaires de maintes civilisations, et en particulier
dans l’Europe du Moyen Âge et de la Renaissance, est jugée en rapport avec
les puissances maléfiques et accusée d’actions délictueuses contre la
religion et la société » (2).
La sorcellerie européenne n’est pas une croyance qui remonte à la nuit des
temps, même si l’on en trouve des traces dans les textes des anciens Romains
(Les métamorphoses d’Apulée, IIème
siècle, dans l’Art poétique de
Horace, dans Médée de Sénèque ou
bien dans les récits de voyages d’Ulysse et de la rencontre de la magicienne
Circé). Avant l’an mille, l’Église semble tolérer celui qui accomplit des
rites magiques, tandis que dans un second temps, les choses changèrent en
ouvrant la voie à ce phénomène connu comme la « chasse
aux sorcières », qui eut son point culminant en Occident entre le XVème
et le XVIIIème siècle (3).
Dans cette longue période, hommes et femmes, indistinctement, furent accusés,
traduits en justice et condamnés avec l’accusation de s’être éloignés de
la foi catholique et d’avoir conclu un pacte avec le diable, en circulant le
plus souvent de nuit, en vol vers des réunions orgiaques et blasphématoires,
connues comme « sabbats des sorcières ».
La magie est un art, qui se propose comme objectif celui d’acquérir
une connaissance plus grande de la nature et des éléments qui la gouvernent.
Au Moyen Âge, il n’existe pas encore de définition claire et définitive de
la sorcière et du sorcier, ni d’accusation véritable de sorcellerie. En 643
ap. J.-C., l’Édit de Rotari abordait le thème de ces « déviants de la foi », mais au lieu que de condamner,
interdisait de tuer ces personnes, en estimant que tout chrétien devrait avoir
honte de comprendre avant de reconnaître. C’est seulement cent ans plus tard,
avec la « Capitolatio de partibus
Saxoniae » (775-790), que l’on interdisait le culte païen et que
l’on mettait en garde ceux qui
croyaient dans les sorcières, et, pire encore, ceux qui les mangeaient (ce type
d’anthropophagie était lié à une croyance saxonne, selon laquelle en
mangeant une sorcière, on absorbait aussi ses pouvoirs surnaturels). Si l’Église
ne montra pas, alors, un intérêt particulier à l’égard du monde de la
magie, ce fut parce qu’elle était engagée de toutes ses forces à triompher
du paganisme. Il n’en sera plus de même, vers 850, quand l’archevêque de
Lyon, Agobardo, intellectuel raffiné et antisémite,
dans « Contra insulam vulgi
opinionem de grandine et tonitruis », manifeste tout son scepticisme
dans la magie. Un tel point de vue sera par la suite repris par Reginone de
Prumri qui estimait que c’est une obligation morale que d’éradiquer la
superstition de la vie des hommes et jugeait, en outre, que les croyances les
plus répandues n’étaient en réalité qu’illusions et fantaisies.
Le Moyen Âge fut une période très longue durant laquelle se succédèrent
de grandes batailles engagées au nom de la foi chrétienne et de l’évangélisation
et qui confluèrent, ensuite, dans un phénomène connu sous le nom « d’inquisition ».
Celle-ci fit sa première apparition en 1184, quand le Pape Lucius III
en forma le premier noyau, à cause des difficultés croissantes de l’Église
pour faire face à des phénomènes comme l’hérésie et la sorcellerie. Ces
deux catégories tendront bien vite à s’assimiler et à se confondre entre
eux, au point d’en arriver à fausser la vraie réalité de la sorcière. Tout
ce que nous savons aujourd’hui sur ces femmes, provient justement de documents
conservés par ceux qui se consacrèrent à leur persécution.
L’inquisition, comprise comme procédure judiciaire, revenait
normalement à l’autorité épiscopale, mais c’est entre la fin du XIIème
et le début du XIIIème, quand le Saint Siège estima opportun d’accompagner
de mesures exceptionnelles les moyens ordinaires de répression, que l’on fait
remonter l’apparition de la figure de l’inquisiteur, c’est-à-dire celle d’un juge extraordinaire dont
les fonctions peuvent contrôler les tâches de l’Inquisition elle-même, vue
dans sa réalité d’institution. Enquête et torture étaient des moyens au
service de Dieu, pourvu que l’on arrache l’âme humaine des accusations de
servitude rendue au démon. L’événement qui sert
de ligne de partage entre la justice ecclésiastique ordinaire et celle
spéciale est la croisade contre les Albigeois de 1209, promue par Innocent III,
décidé à une intervention de force contre les infidèles. En
1215, l’idée sera relancée par le IVème Concile de Latran,
renforcée ensuite par une série d’interventions du Pape Honorius III. Avec
la défaite des Albigeois et le Traité de Paris, paraphé par un délégué du
Saint Siège et par le comte Raymond VII de Toulouse, naît l’organisation de
l’inquisition. Mais si, dans un premier temps, ce phénomène frappe seulement
la haeretica pravitas (la malignité hérétique),
ce sera avec le XIIIème siècle (1258/60 avec le Pape Alexandre IV),
que la lutte contre les sorcières s’aggravera à un point tel qu’elle
ouvrira la voie à une véritable chasse: il existait aussi, à ce propos, outre
le tribunal, une catégorie de personnes en mesure de reconnaître une sorcière
d’un seul coup d’oeil, en la
regardant seulement dans les yeux: les
chasseurs de sorcières. L’un des épisodes les plus saillants remonte à
1674 environ, quand un commis du Béran, convaincu que les sorciers se
reconnaissaient par un signe noir fibromateux qu’ils avaient sur le visage,
provoqua la mort de 6210 personnes, dont 195 dans le seul village de Labourcasse.
Les calomnies, souvent répandues pour des motifs absolument personnels, étaient
à l’origine de beaucoup d’arrestations, certaines nouvelles se répandaient
de manière fulgurante, en effet, et, en passant de bouche en bouche, enflaient,
en se colorant et en finissant par prendre une vie propre. Mais toutes les médisances
de village sont peu de chose en comparaison de l’étau resserré de la
machinerie judiciaire.
Bernard Gui écrit que l’Inquisition a le devoir de poursuivre ceux
qui se « détachent de la communauté, des autres et menacent l’autorité
du Pape et de l’Église ». Nous retrouvons quelques-uns des procès et
poursuivis en justice les plus illustres de l’histoire: le procès contre les
Templiers, celui de Jeanne d’Arc, les persécutions contre les Juifs et les
Musulmans (l’inquisition espagnole), Galileo Galilée, Giordano Bruno, Tommaso
Campanella, etc., tandis que l’un des plus terribles et tristement célèbres
inquisiteurs, fut Thomas de Torquemada, lequel, en 1483, devint inquisiteur générale
des terres espagnoles.
Avec l’édit de foi, l’Église ordonnait que quiconque fût venu à
la connaissance de la présence d’hérétiques ou de sorcières avait l’obligation
de les dénoncer.
Les condamnations auxquelles ces personnes allaient à l’encontre
pouvaient varier par la gravité et la cruauté du supplice infligé, en
relation avec le degré de culpabilité constaté. On allait de la simple
abjuration, accompagnée de l’imposition d’une marque sur le corps ou sur
les habits dite saco bendito, d’où
l’abréviation sanbenito, à la
flagellation, jusqu’à l’incarcération perpétuelle et la remise au bras séculier,
à savoir la condamnation au bûcher ou, dans quelques cas, la mort par
strangulation. La torture était appliquée quand les preuves étaient considérés
comme insuffisantes pour prononcer la sentence et que l’on ne pouvait
constater nettement l’innocence de l’accusé. Et ses modalités les plus
courantes étaient initialement la garrucha
ou poulie, et la torture à l’eau. Nombreuses furent les confessions extorquées
après des heures de tortures indicibles, de toute façon ce n’étaient jamais
des preuves d’une vraie culpabilité, mais plutôt une sorte d’étourdissement
et de grande souffrance. Sur l’initiative de deux dominicains, fut publié
l’un des plus grands traités de sorcellerie: le Malleus
Maleficarum (Le Marteau des sorcières). Dans des cas comme ceux-ci, le
recours aux Saintes Écritures, était nécessaire pour justifier de manière
incontestable, la nécessité de poursuivre les sorcières.
Mais comment était faite une sorcière?
La sorcellerie constitua un élément articulé, complexe, qui renferme
en soi un ensemble de mythologies et de rituels provenants de contextes sociaux
et de réalités religieuse très diverses. En fait, tandis que dans quelques
cultures (comme celles des indigènes de l’Amérique) la magie est pratiquée
par le même sorcier chaman, qui influençait les phénomènes atmosphériques
et guérissait des maladies, dans d’autres cultures, la sorcière est celle
qui pratique la magie noire pour nuire aux hommes. La médecine médiévale,
d’ailleurs, ne constituait pas toujours un substitut valable, en fait, à part
celles délimitées par diagnostique, les thérapies consistaient principalement
en saignées et bains, quand ce n’était pas en régimes et cures coûteux. Il
ne faut donc pas s’étonner du nombre de personnes qui préféraient recourir
aux charlatans, saltimbanques et à ces malfaiteuses que l’on appelait sorcières
dans le peuple.
Les formes de superstition payennes n’avaient jamais disparu, surtout
dans les campagnes. La
qualification typiquement féminine d’activités comme l’assistance aux
accouchées, contribuait à identifier chez les femmes celle qui, ayant à faire
avec la vie à son commencement, pût avoir d’étroits contacts également
avec son opposé, la mort, en outre les passages continuels des armées, l’instabilité
sociale, l’imprévisibilité du climat et la connaissance réduite des notions
d’hygiène et psychiatriques, étaient à la base des maladies les plus
diverses et mystérieuses, en contribuant à créer un climat favorable aux
accusations de sorcellerie. Mais aussi, celui qui, par le truchement des sortilèges,
entendait chasser le démon, était facilement confondus avec tous ceux qui
voulaient s’en concilier les bonnes grâces en lui consacrant leur propre
culte. La pacte avec « Satan » célébré dans les sabbats devint
l’objet de médisances d’abord, puis de transfigurations fantastiques, et
les sorcières, avec les magiciens et les devins, brûlèrent sur les bûchers
que l’inquisition dressa sur ordre des pontifes. À un certain moment, toute
distinction entre superstition et hérésie s’amenuise: « Tout
était désormais considéré comme portant atteinte à la foi, et la punition
due aux hérétiques était désormais réservée à tous les secteurs de la
sorcellerie » (4).
Avant qu’elles fussent accusées d’adorer l’un des 133 306 668
diables qu’Alphonse Spina avait comptés au XVème siècle, les
sorcières étaient considérées comme dotées de pouvoirs surnaturels, en
mesure de changer le destin des hommes au travers de pratiques rituelles et
symboliques. La manière dont la figure féminine a été reliée dans le passé
à l’image de la sorcière sous l’effet d’une forte composante misogyne,
semble donc claire, même si, évidemment, il ne s’agissait pas d’un phénomène
exclusivement féminin. N’importe quelle pratique sexuelle qui dépassât les
limites du licite était vue comme suspecte, comme manifestation d’immoralité
et sujet d’obscénité. La superstition
n’est pas un élément propre au christianisme; mais fait partie de ce bagage
de traditions payennes survivantes à l’évangélisation et qui l’on doit
prendre en considération comme l’un des points fondamentaux pour comprendre
un phénomène d’une telle portée. La spécialité de ces magiciennes et
sorcières était donc celle d’ôter et de jeter le mauvais oeil, cette
croyance qui était reprise justement pour chercher à donner une explication
aux événements incompréhensibles et désastreux. Cette forme de croyance,
pourtant, n’était pas répandue seulement parmi les analphabètes, mais aussi
parmi toutes les classes et catégories de personnes et dans toutes les époques
«I promessi sposi » et « La
storia della Colonna infame » d’Alexandre Manzoni): au XIIème siècle,
le moine Guiberto de Negent raconte que son père était resté sans avoir de
fils pendant sept ans, à cause d’un maléfice.
Les sorcières et faiseuses de sorcellerie, dans leur stéréotype sont
laides, vieilles et méchantes. Dans l’imaginaire populaire, la sorcière était
toujours accompagnée d’un chat noir, d’un balai et avait une provision d’herbes
(médicinales, ndt) pour ses enchantements. (5)
À ce sujet, l’on peut citer deux sources: la première remonte à 1190, quand
le chroniqueur anglais Walter Map en parlant des sabbats, fit référence à un chat noir descendu du plafond. La
seconde est inversement une bulle papale de Grégoire IX, la Vox
in rama, du 13 juin 1233, dans laquelle on évoque cet être qui marche à
reculons avec la queue dressée. Beaucoup de chats brûlèrent
donc sur le bûcher et leur sacrifice fut considéré, dans quelques régions,
propitiatoires de fortune et de bonnes récoltes.
L’un des événements qui eut un « succès » majeur, en évoluant et en se projetant dans le
temps jusqu’à nos jours, c’est la fête de la Toussaint, aujourd’hui
connue par le nom d’Halloween (6).
Ce mot d’origine anglo-saxonne, remonte selon la tradition catholique à la
nuit de la Toussaint, qui se fêtait le 31 octobre et qui, au Vème
siècle ap. J.-C. en Irlande, coïncidait avec la fin de l’été. Les Celtes
croyaient qu’en cette nuit magique toutes les lois physiques qui régissent
l’espace et le temps étaient suspendues, en rendant possible la fusion entre
le monde réel et celui extraterrestre. La tradition de se masquer et de décorer
la maison avait le seul but d’éloigner les esprits mauvais. Tandis que
c’est au IXème siècle que la tradition de « la petite
douceur ou du petit tour » (Trick-or-treat,
littéralement « donnez-moi quelque chose ou je vous joue un tour! »,
expression employée par les enfants qui
font la quête la veille de la Toussaint). On raconte que le jour de la
Toussaint les premiers chrétiens allaient de village en village pour quémander
un peu « de pain d’âme »,
friandise de forme carrée avec des raisins secs, promettant en échange de
prier pour les défunts (celle des suffrages sera une pratique très répandue
au Moyen Âge, à partir du XIIème siècle, quand « naît » le Purgatoire, comme assurance pour le défunt d’une
transition plus rapide au Paradis).
La
sainteté
La religiosité des femmes au Moyen Âge a été à l’origine d’une
sensibilité religieuse particulière. Elles parvinrent à exprimer toute une série
de pensées et de réflexions sur Dieu et sur le rapport avec le Sacré, en
suscitant ensuite cultes et dévotions avec des traits nouveaux et personnels.
En Occident, la femme arrive au monachisme plus tardivement que l’homme,
et quand elle y parvient, elle est enfermée dans les murs d’un monastère, en
passant d’une vie familiale sous la tutelle du père à une vie monastique
sous la tutelle de Dieu, représenté par le Pape, ou par l’évêque diocésain.
Manque initialement la composante de l’expérience d’ermite, la
solitude est en fait considérée comme dangereuse pour la femme, considérée
comme incapable de résister aux tentations.
Le symbole de la religieuse est le virgo
prudens évangélique, qui ne s’abandonne pas au sommeil durant
l’attente de l’époux, mais veille et porte sur elle une réserve d’huile,
pour pouvoir toujours tenir allumée sa lampe, comme cela apparaît dans la Regula
virginum, première règle écrite pour des femmes de Cesaire d’Arles en
534. Du monastère, la femme cherchera à se dégager seulement après l’an
mille, et si au VIème siècle, Cesaire d’Arles prévoit une vie
commune sous claustration rigoureuse, au XIIème siècle, les femmes
deviennent de plus en plus nombreuses à vivre seules dans leurs cellules, ou
dans leurs chambres à la maison paternelle, en observant les valeurs de chasteté
et de pauvreté. Elles se considéraient, en tout état de cause, comme
appartenant au status ecclesiastico.
Dans l’iconographie et dans la littérature, l’image du monachisme féminin
se configure avec celle de l’épouse du Christ. Mais à côté du thème des
épousailles mystiques, nous pouvons en rencontrer aussi un autre: celui de la
maternité mystique, et de manière particulière dans la souffrance des
douleurs de la crucifixion de son fils.
Dans cette longue période, l’histoire du monachisme féminin se
divise en deux parties: la première, qui recouvre la phase du haut Moyen Âge,
concerne l’histoire du monachisme bénédictin, tandis que dans la seconde,
entre la fin du XIème et le début du XIIème, on assiste
à de nouvelles expériences religieuses et institutionnelles. La première
floraison du monachisme féminin est datée du VIIème et VIIIème
siècles. Les monastères féminins et leurs communautés, jouissent de la
tutelle des souverains, ou de toute manière, de celle de leurs fondateurs et
leurs patrimoines sont protégés de même que les patrimoines de ceux qui les
ont donnés. La donation avait deux finalités: la première était pro
rimedio animae, la seconde était une initiative tendant à défendre son
propre patrimoine, en le plaçant au service d’une autre institution
religieuse. Les conséquences de telles actions sont les interférences extérieures
sur des décisions importantes, par exemple, l’élection des abbesses et l’administration
de la propriété foncière.
La première communauté de femmes a été fondée en 667, près des
murailles de Pavie et elle est consacrée à Saint Agathe. Tandis qu’à Rome,
le plus ancien monastère féminin est celui de Saint Agnès hors les Murs, qui
surgit sur le tombeau de la sainte, qui subit le martyre vers les moitié du IIIème
siècle.
Les communautés de religieuses suivaient la règle bénédictine, pensée
par des hommes, mais aussi adaptée aux femmes. La première vraie règle pensée
et écrite pour des communautés de religieuses est celle de Césaire d’Arles,
en 534.
Cette règle prévoyait, outre la pauvreté et la chasteté, l’obligation
de dormir en chambres communes, l’interdiction d’accepter des travaux pour
les étrangers et les parents ou membres du clergé et une période probatoire
pour celles qui manifestaient le désir d’être admises.
Très différent est le De
institutione sanctimonialium du Concile d’Aix-la-Chapelle de 817, qui
introduit le statut de chanoinesses séculaires.
Pour ce qui concerne l’aspect culturel, le haut degré d’analphabétisation
est mis en évidence, mais surtout la connaissance de la Sainte Écriture, liée
aux prédications écoutées durant les rites sacrés, soit, comme pour la
majeure partie de la population du Moyen Âge, par le langage iconographique des
fresques qui ornaient les églises. Il ne leur était pas nécessaire de faire
des discours éloquents, mais un « simplex et pedestre sermo », seulement nécessaire pour leur
faire connaître les choses les plus simples de la vie religieuse.
Les chose changent quand se répandent des idées nouvelles sur la
spiritualité. La nouvelle culture religieuse féminine met surtout en
discussion la règle bénédictine. Le fait que les ordres institués entre les
XIème et XIIème siècles (Camaldules, Vallombreusiens,
Chartreux, Cisterciens), aient aussi des branches féminines, nous informe du
profond changement institutionnel qui
était en train de traverser le monde religieux chrétien. Non plus des
institutions privées, gérées par des souverains ou des reines, mais les
organes religieux eux-mêmes qui incorporent des femmes, ayant l’intention de
vivre selon leur règle (7). Mais un
climat de restrictions persiste. Tandis que les nouveaux moines s’imposent
dans la vie de l’Église, en contribuant à la lutte contre la corruption du
clergé, les nouvelles religieuses continuent à rester recluses derrière les
grilles du cloître. À tel point que Le Bras affirma qu’après l’an mille
les religieuses changèrent seulement « la
distribution des organes liturgiques et la rigueur de l’isolement ».
Tandis que les moines combattent en guerriers contre les ennemis de la foi, les
religieuses, telles des militaires d’arrière-garde, prient pour le succès de
leurs confrères. Leur prière devient ainsi un moyen d’action qui repousse
bien loin les murailles du monastère, malgré la claustration, en devenant un
facteur sur lequel compter.
Le premier ordre dont la fondation remonte à une femme est celui des
Clarisses de Sainte Claire qui, au moyen de nombreux sacrifices de sa
fondatrice, réussit à obtenir son indépendance quand, en 1218, elle obtient
le privilegium paupertatis, différemment
des autres monastères qui acceptaient des donations et des possessions de biens.
Un autre phénomène, qui intéressera le monachisme féminin au Moyen
Âge est la forme de l’érémitisme: l’incluse, ou recluse, est celle qui,
« en renonçant au monde, choisit la
vie solitaire, désire se cacher, ne pas se faire voir et, presque « morta
seculo, in speculnunca Christi consepeliri » ». Ainsi la définit
le cistercien Aelred de Rielvaux en rédigeant son De institutione invulsarum, vers 1160.
Comme l’observe Aelred de Rielvaux, érémitisme ne voulait pas dire,
pour une femme, vivre seule dans une recluserie, mais « aspirer
ardemment et plus librement au Christ, en en convoitant l’embrassement »,
c’est-à-dire les Noces mystiques (comme
dans le cas de Sainte Catherine de Sienne). Saint Bernard, comme beaucoup d’autres
de son temps, était convaincu de la fragilité de la femme de tomber en
tentation, et donc de la nécessité d’un contrôle de la part de la famille
ou du monastère. À partir du XIIème siècle, la recluserie des
incluses peut s’appuyer non seulement aux églises administrées par le clergé
séculaire, mais aussi à celles des ordres séculaires, le plus souvent
masculins, et parfois ce sont les mêmes recluses à réclamer des normes pour régler
leur vie propre. Ces normes représentent pour nous une source importante pour
comprendre le sentiment religieux général de ce choix de vie.
À partir du XIIème siècle, les recluseries des incluses
ayant accru considérablement, nous les voyons, non seulement à proximité
directe des églises (sub pariete ecclesie),
mais aussi dans le cimetière des Innocents à Paris, dans un cellule à Bonn,
sur les six portes de la cité de Toulouse, ou sur un pont sur la Garonne...
Mais alors que les recluseries construites près des églises avaient l’objectif
de satisfaire les exigences spirituelles des femmes, celles construites en d’autres
lieux de la ville, étaient voulues et maintenues par les cités elles-mêmes
pour la protection de leurs habitants, des pèlerins et de la ville elle-même.
Donc de la piété individuelle, on passe au rôle de protectrice de la ville,
cet aspect-ci n’est pas à sous-évaluer, parce que l’incluse était censée
servir seulement le Seigneur.
Les rituels de réclusion sont modelés sur l’office liturgique des défunts:
on entre dans cet état de vie comme on entre au sépulcre et l’on attend que
l’âme soit portée par les Anges dans le sein d’Abraham, mais c’est une
attente qui peut durer encore de longues décennies, passées en dévotions et
pratiques ascétiques.
Le Liber confortatorius Goscelini
monachi ab Anglia ed Evam, apud S. Laurentium, pro Christi nomine inclusam,
une source des dernières décennies du XIème siècle, voit la
recluserie sous deux aspects particuliers: lieu de martyre et tombe. Goscelin
juge que la femme est en mesure de vaincre les tentations, en tenant une croix
dans la main, et à sa victoire, le Seigneur sera présent avec les Anges comme
témoins. La recluserie devient de cette façon un moyen de jonction entre la
femme sur la Terre et Christ dans le Ciel. Chaque recluserie doit avoir un
crucifix, qui représente le Rédempteur qui ouvre ses bras, comme symbole de la
victoire sur le mal et du salut de l’humanité.
Le dernier exemple est l’expérience de pauvreté au féminin. Depuis
le XIIème siècle, le riche, et de façon particulière, le commerçant,
est vu de manière négative, ou carrément il est montré du doigt comme
usurier, donc comme pécheur contraint à se justifier face à Dieu. L’usurier,
qui donne en aumône aux lépreux de mauvaises
pièces, devient la contrefigure du monde féminin, des femmes qui vont
soigner et guérir leurs figures. La pauvreté, donc, non seulement comme expérience
sociale, mais aussi comme expérience spirituelle.
Un personnage caractéristique de la vie quotidienne urbaine, est la
pauvre petite vieille infirme qui, endurant avec patience et résignation sa
propre misère, se tient à proximité de l’église. Elle accepte l’aumône
seulement si elle peut la rendre par la prière, pour l’intention de la
donatrice. Ces petites vieilles, dites « chères à Dieu », se
transmettent des messages caractérisant la mentalité du XIIème siècle:
elles supportent la misère sans rébellion, au contraire même en se rendant
utile, cela fait prendre conscience de l’importance des prières pour les défunts
(nous sommes dans le siècle que J. Le Goff signale comme celui de la naissance
du Purgatoire) et du fait que celles-ci peuvent doubler leur valeur, en tant que
fruit de l’aumône élargie aux pauvres.
Notes:
(1)
Considérée
comme une invention littéraire, beaucoup d’interprétations ont été données
à propos de la localisation géographique de cette île, mais il est plus
probable que ce monde imaginaire soit une légende remontant à une très
ancienne tradition.
(2)
Nicolas Zingarelli, Vocabulaire de la langue italienne, 12ème édition
Zanichelli.
(3) La tragédie de Salem [dans le Massachussetts sur la côte Est des
États-Unis]: la communauté de Salem Villane avait été fondée en 1626 par
Roger Conant, comme centre d’échanges commerciaux. En 1630 elle se transforme
en un véritable pays et en 1691, à la veille du « siècle des lumières »,
s’amorça l’une des plus terribles chasses aux sorcières de l’histoire.
Le commencement de tout fut une boule de cristal rudimentaire, utilisée par
quelques jeunes pour prévoir l’avenir. Le premier procès eut lieu le 2 juin
1692 et se prolongea jusqu’en 1693, quand une cour de justice spéciale
s’occupa des 52 derniers cas.
(4)
Henry Charles Lea.
(5)
Ulrich
Molitor, Traité sur les femmes malignes, appelées sorcières.
(6)
La
légende de Jack aux Lanternes naît de la tradition irlandaise et parle d’un
tricheur et malfaiteur qui à cause de son comportement et pour avoir embrouillé
le diable la nuit de la Toussaint, reçut comme punition de ne plus pouvoir
entrer au paradis, ni en enfer, et de devoir errer pour l’éternité avec un
tison qui lui éclaire la route. Ce sera justement lui qui, pour le faire durer
le plus longtemps possible, mettra son tison dans un gros chou-navet qu’il
avait précédemment arraché (le chou-navet sera par la suite remplacé en
1840, quand la tradition arrivera aux États-Unis. [Par exemple, par une
betterave dans le Nord de la France, une citrouille dans les pays anglo-saxons,
ndt]).
(7) Le premier monastère féminin qui demande à être affilié à l’ordre Cistercien se trouve en Provence, à Prebayon (1140).